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A l'OCCASION DE SON INVESTITURE LE COMITE DENIS DIDEROT ECRIT AU PRESIDENTDE LA REPUBLIQUE EMMANUEL MACRON  - 7 MAI 2022

                               Monsieur Emmanuel Macron

                                                                               Président de la République française

 

 

Collaboration d’Eutelsat S.A. avec des entreprises
de l’appareil russe de propagande de guerre

 

                                                                                                              Paris, le 7 mai 2022

 

Monsieur le Président de la République,

 

C’est aujourd’hui le début de votre nouveau mandat en tant que Président de la République et le Comité Denis Diderot vous souhaite un mandat actif au sujet de la défense de la liberté d’expression et de la paix en Europe.

Le Comité Denis Diderot,  composé à l’initiative d’experts européens dans le domaine des médias,  s’est donné pour mission de contribuer au rétablissement de la libre circulation de l’information, sans propagande de guerre, entre la Russie et l’Europe. Il est sensible aux éléments de votre discours d’investiture évoquant la guerre en Ukraine et le souci d’éviter l’escalade.

Vos services vous ont très certainement informé du rôle que les chaînes de télévision russes jouent dans cette escalade et dont le correspondant à Moscou du journal Le Monde rendait compte dans l’édition du 5 mai. On peut entendre, notamment dans une émission phare de la chaîne d’Etat Rossiya 1, la plus populaire en Russie, des journalistes et des experts universitaires propageant de fausses informations sur les opérations militaires et les crimes de guerre de l’armée russe, proférant des propos haineux sur la population ukrainienne, niant l’existence même de la culture et de la langue ukrainienne, appelant au meurtre des dirigeants étrangers en visite en Ukraine, à la constitution de camps de concentration pour les opposants à l’ »opération Z » et légitimant le recours à l’arme nucléaire dans le cadre de la 3ème guerre mondiale que la Russie doit mener face à « 40 Etats nazis».

Le Comité Denis Diderot s’étonne que ces chaînes dont les propos réguliers dépassent les limites de la liberté d’expression définie dans les traités internationaux continuent à être transmises par des satellites propriétés de la société Eutelsat S.A., ou par des satellites russes dont Eutelsat S.A. loue des capacités, au bénéfice de ses deux clients russes : les plates-formes de distribution de télévision à péage NTV+ et Trikolor. Ces deux plates-formes sont tout à fait intégrées à l’appareil de propagande de guerre du Kremlin. NTV+ est une filiale de Gazprom Media Holding et Trikolor, d’apparence indépendante, vient de demander au gouvernement et à la Douma des subventions lui permettant de continuer ses activités.

Ces deux plates-formes distribuaient, avant la guerre en Ukraine, vers 15 millions de foyers russes,  8 chaînes internationales d’information (dont les chaînes françaises France 24, TV5 Monde et Euronews). La distribution de ces chaînes, qui contribuaient au pluralisme de l’information dans la Fédération de Russie, a été interrompue par ces deux plates-formes, dans des conditions peu claires et, dans la plupart des cas, contre la volonté des diffuseurs.

Dans ces conditions, la continuation de la collaboration d’Eutelsat S.A. avec ces deux plates-formes intégrées dans l’appareil russe de propagande de guerre a quelque chose de choquant et d’inacceptable. Eutelsat S.A. est une société dont l’Etat français est à la fois le principal actionnaire et le régulateur et l’on comprend mal que plus de deux mois après le début de la guerre cette collaboration continue.

Les Ukrainiens ont bien conscience de la collaboration de la  France avec la Russie dans ce domaine, comme l’illustre un mème qui circule sur les réseaux sociaux.

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Madame Eva Berneke, PDG d’Eutelsat, a récemment expliqué au journal danois Radar Media, que son entreprise était neutre par rapport au contenu des chaînes transmises pour ses clients et qu’elle ne pouvait rien faire sans une intervention réglementaire des autorités, en particulier des autorités françaises.[1]

Le Comité Diderot a publié le 5 avril dernier un rapport et une pétition à ce sujet. La pétition appelle à des sanctions de l’Union européenne et de l’organisation intergouvernementale EUTELSAT IGO à prendre des sanctions contre les deux plates-formes. Ces sanctions, outre qu’elles mettraient fin à une collaboration scabreuse, permettrait à Eutelsat S.A. de récupérer les capacités sur le satellite Eutelsat 36 E° B et de les mettre à disposition des chaînes internationales d’information, de chaînes russophones existant déjà en Estonie, Finlande, République tchèque et en Ukraine et d’éventuelles chaînes russes indépendantes qui pourraient se créer ou renaître.

La pétition a été signée à ce jour par 53 personnalités européennes et québécoises du secteur des médias (universitaires, juristes, journalistes, professionnels) et par l’ensemble des membres du Conseil national de la Radio et de la Télévision, l’autorité ukrainienne de régulation de l’audiovisuel. Elle a été signée en ligne par plus de 1100 personnes. Elle a obtenu le soutien de plusieurs organisations nationales de journalistes. Sur les réseaux sociaux, de nombreux usagers, y compris d’anciens Ministres des affaires européennes ou des Affaires étrangères, ont manifesté leur sympathie pour notre action. Des responsables politiques, notamment en Allemagne et au Danemark, commencent à s’intéresser à la question.

La Fédération européenne des journalistes et la Fédération internationale des journalistes ont déposé une alerte auprès du Conseil de l’Europe faisant référence à la pétition et mettant en cause la responsabilité d’Eutelsat S.A 

« Agir » a été le mot-clé de votre discours d’investiture. Il nous parait qu’il est à présent urgent que la France agisse sur ce dossier, qui ternit l’image d’un de ses fleurons industriels et la bonne réputation de votre pays en Ukraine et au sein de la société civile russe.

La France s’honorerait en agissant rapidement sur ce dossier, soit par une réglementation propre soit en proposant, dans le cadre de sa Présidence du Conseil de l’Union européenne des mesures de sanctions. La procédure la plus simple serait certainement de se concerter avec la Commission européenne pour que la décision annoncée par Madame la Présidente von der Leyen sur l’interdiction des trois chaînes russes, et qui devrait bientôt être soumise au Conseil européen, inclue aussi l’interdiction pour les sociétés européennes de satellite de mettre à disposition des plates-formes russes soit des capacités de leurs propres satellites, soit sur des capacités louées à des opérateurs de pays tiers.

Le Comité Denis Diderot se tient bénévolement à la disposition de vos services pour toute information sur ce dossier, déjà largement documenté sur son site https://denisdiderot.net

Il est temps d’agir, Monsieur le Président. Il est temps de rétablir la libre circulation de l’information (sans propagande de guerre) entre l’Europe et la Russie, en conformité avec les traités internationaux.


Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression  de ma haute considération.

 

André Lange

Coordinateur du Comité Denis Diderot
Ancien chef de département dans une institution européenne
spécialisée dans l’analyse du secteur audiovisuel européen

 

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[1] La transcription et la traduction des déclarations de Madame Berneke se trouvent sur le site du Comité Denis Diderot : https://denisdiderot.net/berneke

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